Baptiste Brejon, l'intelligence artificielle face aux troubles DYS.
L'histoire de Baptiste Brejon, c'est l'histoire d'un entrepreneur né, qui s'engage désormais dans la correction des troubles dys pour une scolarité sans couture pour les enfants atteints.
Né dans la région lyonnaise, Baptiste est fils et petit-fils d'entrepreneur : « Mon père a monté sa propre affaire et depuis que je suis né il a une PME d'une cinquantaine de personnes. Ma mère est auto-entrepreneuse, ainsi que mes deux oncles et mon grand-père. J'ai un frère jumeau, qui lui aussi a une attitude très entrepreneuriale. »
La création de Glaaster n'est donc pas une histoire de hasard, mais plutôt celle d'une rencontre : « J'étais le premier de la famille à faire des études, on m'a alors poussé vers l'ingénierie. Et sur les bancs de la prépa, j'ai rencontré Antoine Auzimour. On s'est d'abord rejoints autour des jeux-vidéos, mais à la fin de nos études, lors d'un déjeuner, on a partagé notre volonté commune d'entreprendre, et on s'est dit qu'on se lancerait ensemble. »
C'est alors qu'émerge l'idée de Glaaster, une solution appuyée sur l'intelligence artificielle pour aider les enfants dys à dépasser leurs troubles lors des séances de devoirs à la maison : « Antoine est lui-même dyslexique et spécialisé en IA et on s'est simplement dit " Est-ce qu'on essaierait pas de mettre nos compétences au service des personnes qui comme toi souffrent des mêmes troubles ? " »
Bien que l'idée semble pertinente, le duo a d'abord pris le temps de s'assurer de la viabilité du projet, et Baptiste Brejon a mis à l'épreuve le concept : « J'ai pris plusieurs mois pour passer au crible le marché. »
Après des études documentaires, des études de marché, de pricing, Baptiste Brejon a dégagé les zones d'ombre du projet.
« Je pense que pour se lancer il faut se rassurer, et pour se rassurer, il faut identifier nos propres craintes et se concentrer dessus. Moi, dans le duo je jouais le rôle de celui qui ne voulait pas y aller, et je confrontais mon idée à tous ceux qui auraient pu la démonter jusqu'à ce que ça marche. Et en fait, à chaque fois qu'on passait une étape, on mettait un feu au vert, et progressivement, il n'y en avait plus aucun qui restait au rouge.
Par exemple, je doutais du réel potentiel économique du projet. Alors je n'avais pas le choix, j'ai fait une étude de marché, je suis allé voir les concurrents, j'ai tenté de comprendre les raisons de leurs réussites, de leurs échecs… Quand j'ai compris qu'une clientèle était prête à payer pour ce service, j'étais rassuré. Antoine, c'était la partie technique qui le questionnait. Parce que, même si l'IA est sa spécialité, nous ne savions pas si nous pourrions tenir notre promesse. Donc chacun a sa zone d'ombre qui l'empêche d'y aller, mais une fois qu'on l'a balayée, c'est parti, on ne s'arrête plus. »
Le projet est donc lancé.
Au bout de 6 mois, le duo décide de participer à un concours, qui requiert une condition d'entrée spécifique : être immatriculé, ou être suivi par un incubateur. N'étant pas immatriculé, Glaaster est parti toquer aux portes des incubateurs. Et là, c'est le déclic :
« La première étape qui nous a débloqué, c'était de sortir de notre chambre. Nous n'avions aucune conviction sur ce qu'on allait trouver en incubateur. Et c'était en fait la meilleure chose qui nous soit arrivée, cette structure. On a rencontré des entrepreneurs expérimentés qui nous ont empêché de faire les plus grosses erreurs possibles : des associations pas nécessaires, des développements produits en mode tunnel qui signifierait la sortie d'un produit même pas testé, ils nous ont appris la méthodologie de l'entrepreneuriat, que ce soit par des conseils, des redirections, ou par le financement. »
Après un an et demi de travail, l'incubateur est porteur d'une autre bonne nouvelle pour le duo : la mise en relation avec un laboratoire de neurosciences :
« Nous, nous avions une intelligence artificielle capable d'adapter les documents textuels aux besoins des enfants dys. On prend des photos, on en extrait le texte, on applique des paramètres, des facteurs de modification, des couleurs sur les graphèmes, les phonèmes, les liaisons, les unités de sens… Et ça marche. Seulement, il faut que chaque solution s'adapte à chaque enfant, et on veut que ça soit automatisé. Et c'est là que le laboratoire devient un partenaire pertinent.
Glaaster a été bien accueilli par les chercheurs car la neuroscience est consciente des manquements dans le diagnostic et le traitement des troubles dys existants. Les tests utilisés aujourd'hui ont plus de 50 ans, et selon les chiffres, sur l'ensemble des cas, il y a 70% de comorbidité, c'est-à-dire de chance d'avoir un autre trouble qui s'additionne à celui détecté. Donc les professionnels veulent tout recommencer, mais ils ne savent pas par où commencer. Avec notre vision d'ingénieur, on va dans l'autre sens : on fait faire des tests, on collecte les données, on peut identifier les clusters, on propose une solution finale mais on ne sait pas interpréter les datas et traiter. Les laboratoires, eux, ont la capacité d'analyser les informations pour personnaliser le traitement, mais pas celle de les collecter et de proposer des solutions. Nous sommes donc complémentaires. »
Tout s'est alors intensifié pour Glaaster. Le projet obtient l'appellation deeptech, débloquant des opportunités et des financements. En janvier 2023, une version alpha du produit est créée, avec une cible test. En septembre, une version beta est sortie.
Mais une entreprise ce n'est pas qu'un produit.
Pour se développer, l'équipe de Glaaster adresse maintenant un challenge commercial :
« Aujourd'hui nous affinons encore notre modèle. Les utilisateurs sont convaincus, mais faire du B2C en one to one est trop coûteux et chronophage. L'idéal serait de passer par un réseau de prescripteurs, mais nous souhaitons que les partenaires avec qui nous travaillons, qu'ils soient orthophonistes, parents, écoles, ou acteurs privés de l'éducation, soient convaincus de la valeur ajoutée de Glaaster. »
Au-delà des acheteurs, ceux qui restent à séduire, ce sont les utilisateurs. Sur une cible de 8 à 12 ans, le défi est de taille. Afin de rendre sa solution agréable, Glaaster a développé une formule de récompense basée sur le nombre de points obtenus par l'enfant à l'issue de ses travaux. La récompense en elle-même est alors définie soit par défaut, parmi celles proposées par l'application, soit personnalisée par les parents : « Les parents qui jouent le jeu nous font parfois beaucoup rire ! Nous avons vu pour récompense des sorties cinés, le dernier ballon de NBA, la sortie de leur choix… »
Pour l'avenir, Glaaster rêve grand et souhaite apporter sa solution au plus large public, au plus faible coût de transaction possible. C'est pourquoi le duo d'entrepreneurs espère l'intégration API aux plateformes scolaires en ligne afin que d'une part le professeur puisse uploader comme à son habitude les devoirs, et que l'élève reçoive de son côté un devoir adapté à son trouble, rapidement, sans accroc. Pour ce faire, l'équipe compte prochainement lever des fonds pour financer son avancée.
Se lancer en duo a été une réelle leçon pour Baptiste Brejon :
« Dans un duo, je pense que c'est important qu'il y en est un qui teste le projet jusqu'à sa limite.
Nous, on en a toujours un qui fait, même s'il n'en a pas envie, le bad cop et l'autre, le good cop. En pratique, ça permet d'identifier les points qui ne vont pas, et c'est en les levant qu'on se convainc qu'il n'y en a pas.
L'attribution des rôles dépend des situations. Et cette organisation est une richesse car étant deux jeunes entrepreneurs, lancés sur notre première entreprise, il y a souvent des moments où on est trop impatients et où l'on fonce dans une collaboration, dans laquelle on se retrouve un peu piégés, et dont on ne sait pas comment s'en extirper, par exemple. Et être deux permet de tempérer les situations, d'améliorer la communication avec les partenaires, et de ménager les réseaux.
Sur un point plus financier, nous avons hérité de l'incubateur de Lyon Villeurbanne une gestion raisonnée. Leur philosophie était la suivante : ils ne montent pas de méga startup, pas de licornes, mais des entreprises qui marchent. Nous n'avons donc pas levé de fonds jusqu'à maintenant. Nous avons la chance avec Antoine d'avoir travaillé 2 ans avant de nous lancer, donc nous avons bénéficié d'aides à la création d'entreprise. Pour financer notre développement, nous avons contracté un prêt, et bientôt, nous irons lever des fonds. Cette politique nous a beaucoup apporté.
C'est parfois fatiguant, car on voit les autres aller bien plus vite dans des conditions financières confortables. Mais pour la suite, ça nous avantagera, car on a toutes les metrics et une gestion qui rassurera les banquiers à l'avenir. Ce n'est pas un choix simple, et souvent on se remet en question. Il n'y a pas de bons ou mauvais choix. »
Finalement, peu importe les challenges, les obstacles qui se dresseront sur la route de Glaaster, les entrepreneurs sont comblés : « Il y a tellement de choses à partager autour de cette aventure. Ce qui nous touche le plus, avec Antoine Auzimour, c'est que depuis que nous sommes sortis du salariat, nous nous réveillons le matin, sans réveil, surexcités, avec pleins de problèmes, mais heureux d'en avoir. Humainement, l'expérience est incroyable. Et même si ça venait à ne pas marcher, nous serons heureux du chemin parcouru. Et si nous avions une leçon à partager aux futurs entrepreneurs avec Antoine, nous dirions qu'il faut sortir de sa chambre, aller parler aux gens, rencontrer des incubateurs, d'autres entrepreneurs. C'est comme ça qu'on explose. »
Portrait réalisé par Dare Society