Jérémy Caussade, Voler décarboné

Jérémy Caussade, Voler décarboné 

Le Pays Basque a vu grandir Jérémy Caussade, pionnier de l'aviation décarbonée. Sa passion pour l'aéronautique remonte à l'enfance : 

« Le vol à voile a été mon premier contact avec l'aéronautique. Puis le planeur a éveillé mon intérêt pour la création et la maintenance des avions. C'était mon point de départ. »

Le jeune Basque n'a ensuite pas tardé à prendre son envol, obtenant ses premières qualifications de vol à seulement 16 ans. C'est cette passion qui a par la suite guidé son parcours académique et professionnel :

« J'ai intégré le monde aéronautique pour le plaisir, et j'ai continué à naviguer dans cet univers en y travaillant activement. Avec l'âge, mon engagement est resté inchangé. »

En 2011, Jérémy cofonde une association, Replic'Air, dans laquelle les membres restaurent d'anciens avions français pour les remettre en vol. Une démarche qui lui tient à cœur et enrichit son expertise aéronautique : 

« Cette association est toujours très active et c'est principalement dans ce contexte que je vole. Il s'agit d'un moyen d'apprentissage important, puisque ça me permet de conserver une pratique et un contact avec le réel, ce qui est utile lorsqu'on conçoit des avions. »

Après des études d'ingénierie en aérodynamique, Jérémy rejoint en 2009 Airbus pour un stage de fin d'études qui marquera sa carrière :

« Les essais en vol chez Airbus ont été une expérience phénoménale pour moi. C'est là que les avions prennent vie, que les innovations sont mises à l'épreuve. Ce fut une occasion unique de compléter mon parcours académique. »

Après ce passage, Jérémy Caussade continue sa carrière auprès d'Airbus Helicopters à Marignane. Des années marquées par un apprentissage à 360 degrés sur les différentes étapes du projet :

« L'hélicoptère étant plus petit qu'un avion de ligne, ça nous offre l'opportunité de toucher à davantage de facettes du développement. Ces années ont été incroyablement enrichissantes. »

Après un retour aux essais en vol chez Airbus en 2012, ses différentes missions ont été marquées par une constante : l'innovation. C'est ce parcours riche en expérience qui a nourri sa prise de conscience autour de la révolution industrielle et numérique que vît l'aviation. : 

« Chez Airbus, j'ai eu la chance de participer à différents projets à différents stades d'avancement, que ce soit sur de la mise en vol, de la certification, des essais… J'y ai travaillé particulièrement sur l'A350 et les installations au sol, que nous appelons « avions zéro ». Mais j'ai eu l'occasion d'aller plus loin, puisque j'ai également rejoint le bureau d'étude des performances, où nous examinons des questions essentielles sur le fonctionnement des avions : la distance nécessaire pour décoller selon les conditions météorologiques, les performances en rythme de croisière, les possibilités de l'appareil… 

Puis mon parcours m'a mené vers la transformation digitale, qui a révolutionné notre façon de concevoir, produire et maintenir nos avions. Cette révolution numérique a ouvert une multitude de nouvelles opportunités pour l'aviation. »

« Mon expérience chez Airbus fut un tremplin crucial. Avec son passé riche et sa capacité constante à innover, c'est une entreprise à la pointe de l'aéronautique, notamment lorsqu'elle a été pionnière avec l'adoption de la commande de vols électriques lors de l'arrivée du A320.

Ces diverses expériences m'ont également permis de constater l'importance du travail d'équipe dans le développement d'un avion. »

À l'issue de ce parcours, Jérémy Caussade jouit d'une vision suffisante pour amorcer le virage de l'entrepreneuriat. En 2018, il co-fonde alors, avec Fabien Raison et Wilfried Dufaud, AURA AERO, un constructeur d'avions modernes tourné vers l'avenir. Leur ambition : repenser la conception des avions, pour s'attaquer à un défi de taille dans l'industrie : la décarbonation.

Ce défi, l'équipe d'AURA AERO souhaite le relever suite à différents constats : 

« Pour respecter la continuation de la révolution industrielle amorcée, liée à la décarbonation, et l'émergence des technologies numériques, nous avons estimé qu'il était essentiel de continuer à travailler sur des avions allant de ce sens. 

Pour commencer, nous avons lancé nos travaux sur des appareils de taille plus réduite, car nous connaissions mieux leur conception, ainsi que leur mise en vol et maintenance. C'était le module idéal pour accélérer le pas vers une aviation plus respectueuse de l'environnement. »

« Dès le départ, nous avons tenté de comprendre le marché. Nous avons donc commencé par développer un avion de formation capable de voltige, et travaillons actuellement sur un avion régional de 19 places. Nous avons choisi ces deux catégories d'appareils car elles représentent des segments du marché de l'aviation peu concurrentiels à l'échelle mondiale. 

Également, nous implémentons les processus d'une entreprise digitale dans l'organisation de nos travaux, ce qui nous permet de mieux nous développer, d'aller plus vite, en comprenant un peu mieux l'évolution de l'avion, pour qu'au cycle d'après, on soit encore davantage performants . »

« Notre équipe, qui ne comptait que trois membres en 2018, avoisine aujourd'hui les 200 personnes. Le challenge d'AURA AERO est de travailler à la fois sur une nouvelle forme d'aviation, tout en respectant les codes de l'aviation traditionnelle. Nous collaborons avec les grands groupes aéronautiques actuels, sans perdre la liberté de développer les avions qui nous semblent importants pour l'avenir. »

Afin de mieux comprendre le marché de l'aviation décarbonée, nous avons demandé à Jérémy Caussade de nous décrire à quel stade d'avancement le secteur se trouve actuellement : 

« Depuis quelques années, l'aviation décarbonée est devenue non seulement crédible, mais également nécessaire. La pression extérieure est forte, qu'elle vienne du grand public, de la Commission européenne ou de la France. Il est devenu impossible d'ignorer la question. Heureusement, des pionniers ont démontré que c'était réalisable. 

Au-delà de la démonstration de faisabilité, les industriels ont pris le relais pour transformer ces innovations en produits concrets, certifiés, opérationnels et ayant un impact réel. Mais nous devons reconnaître que nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. »

« L'impact de la décarbonation dépend du nombre d'avions produits et de la capacité à décarboner les opérations associées à ces avions. Et ça, c'est une réalité assez récente. »

Concernant la position de la France dans cette marche vers la décarbonation, il reste optimiste : 

« La France, qu'elle s'appuie sur ses grands groupes ou ses nouveaux acteurs, a une position privilégiée dans le domaine de l'aviation décarbonée. Nous avons les capacités d'innover, bien que nous soyons plus petits que certains pays ! 

Nous sommes un pays riche en compétences et en technologies. Nous avons des motoristes, des fabricants d'hélices, des spécialistes des systèmes électriques, des fabricants de moteurs électriques et de trains d'atterrissage. Par conséquent, nous n'avons pas besoin d'aller très loin pour trouver tous les composants nécessaires.

Mais il y a des lacunes à combler, en particulier en ce qui concerne le financement, qui reste une question complexe en France. Cependant, nous sommes portés par une dynamique extrêmement positive, grâce à une politique française axée sur la réindustrialisation et la décarbonation. »

Pour le futur d'AURA AERO, Jérémy Caussade affirme le double positionnement sur deux secteurs prometteurs : 

« Premièrement, nous travaillerons à la formation des pilotes, civils ou militaires. Il faut offrir des avions qui correspondent aux besoins d'aujourd'hui et de demain, tout en étant décarbonés. On commence avec la version électrique de notre biplace et on poursuivra ensuite à mesure que nous apprenons à intégrer une propulsion électrique sur un avion. »

L'autre secteur sur lequel se concentre AURA AERO est l'aviation régionale, qu'il considère comme la première branche de l'aviation commerciale à pouvoir être massivement décarbonée : 

« L'aviation régionale répond à des enjeux de désenclavement et de continuité territoriale, partout dans le monde. Là où il y a des îles, des obstacles géologiques majeurs, ou des infrastructures terrestres peu développées, l'avion est la meilleure solution. Mais ces endroits sont généralement aussi ceux qui sont les plus touchés par le réchauffement climatique. Par conséquent, la notion de vol décarboné est absolument cruciale. 

De plus, un avion régional ne vole pas très vite, pas très haut, et pas très loin. Pour toutes ces raisons, il est un peu plus facile de développer des avions bas carbone ou décarbonés que des jets ou des avions longs courriers. C'est une étape logique, un premier pas sur le chemin de la décarbonation de l'aviation. »

D'un côté plus personnel, Jérémy souligne l'importance de comprendre les enjeux techniques pour être orienter efficacement la politique de produit dans le secteur qu'est l'aviation : 

« Être à la fois ingénieur en chef et président d'AURA AERO est essentiel pour comprendre où la société doit aller. Même si le rôle d'ingénieur en chef sera à terme assuré par quelqu'un d'autre, je tiens à garder une connexion étroite avec la technique, que ce soit par le bureau d'études, la production ou les essais en vol. »

« À court terme, nous resterons une société très technologique, car nous devons faire éclore ces technologies au niveau des avions. En même temps, nous devons être très industriels, car notre mesure de succès est le nombre d'avions décarbonés que nous mettons sur le marché dès que possible. »

L'objectif est ambitieux mais clair : 

« Avant 2030, nous voulons arriver sur le marché avec notre avion régional. Nous voulons opérer des liaisons transversales en France, ou des jonctions d'île à île. Il faut que nous montrons au public et au secteur aéronautique que le vol sur des avions en propulsion électrique, bas carbone, n'est pas une idée abstraite. C'est du concret, ici et maintenant. »

Plus largement, pour l'avenir, l'entrepreneur est déterminé et confiant sur la réussite de l'hexagone sur cette course à la décarbonation :

« Il ne faut pas se reposer sur nos lauriers. Nous sommes engagés dans une course mondiale. Nos principaux concurrents ? Les Américains, principalement. La Chine a sans doute réalisé d'importants progrès dans le domaine, mais il reste encore beaucoup à faire. Cette limitation est justement notre force : l'expérience et l'historique. 

Nous avons des entrepreneurs qui ont pris position. Nous ne sommes pas très nombreux, mais nous sommes quelques-uns en France et en Europe, et je pense que nous sommes bien positionnés. Cependant, nous devons être capables de passer à l'échelle, et pour ça, nous devons donc pousser très fort pour montrer que ce n'est pas parce qu'on est une société jeune qu'on s'octroie pour autant des latitudes qui ne seraient pas celles des sociétés plus établies. »

 « Quand on a pour mission de décarboner l'aviation, cela devient plus une opportunité qu'une contrainte. »

Portrait réalisé par Dare Society