Marie Sermadiras, Le pouvoir de la rencontre. 

Marie Sermadiras, Le pouvoir de la rencontre. 

Brillante entrepreneure, puis responsable à des postes clefs, depuis très jeune, Marie Sermadiras a été challengée : 

« J'ai eu une scolarité plus ou moins difficile. J'avais deux ans d'avance, donc j'étais un petit bébé qui essayait de jouer au grand, toujours avec un petit décalage. » 

Dans sa jeunesse, rien ne prédestinait l'étudiante à se diriger vers l'entrepreneuriat :

« Lorsque j'étais jeune, je ne savais pas bien ce que je voulais faire plus tard. Donc j'ai intégré une voie scientifique dans un très bon lycée. Et j'ai totalement raté. En France, si tu rates la voie scientifique, il y a plein de métiers que tu ne peux plus exercer. En cascade, j'ai malheureusement été virée de mon lycée. »

Finalement, l'étudiante garde espoir et rejoint une classe préparatoire, après laquelle elle intègre HEC, puis le Master X-HEC Entrepreneurs. 

« C'est le parcours X-HEC Entrepreneurs qui a tout changé. J'y ai découvert le pouvoir de la rencontre, en y rencontrant celle qui allait devenir mon associée, Mallorie Sia, avec qui j'ai créé l'entreprise Treatwell, une centrale de réservation de soins de beauté et bien être. »

C’est le projet Treatwell qui a lancé la carrière de Marie Sermadiras : 

« Avec Mallorie, on s'est investies sur le projet sans en saisir l'ampleur. Nous n'avions pas de vision claire, avancions pas à pas, avec l'enthousiasme, l'énergie et la passion d'une campagne BDE. 

Progressivement, on s'est retrouvées à courir dans une roue qui nous dépassait. Et c'est devenu petit à petit une vraie entreprise. 

On ne s'est pas posé de questions avec Mallorie. D'ailleurs, si tu te poses trop de questions, tu finis par trébucher. »

Jusqu'à la réception d'une proposition de rachat, les deux entrepreneuses ne réalisent pas l'ampleur de leur projet. Pourtant, ce n'était pas le challenge qui manquait : 

« Le plus difficile avec Treatwell, c'est que c'était un modèle qui n'existait pas et qu'il a fallu l'imaginer. Nous étions prises en étau entre le B2C et le B2B. On devait aller chercher le bon référencement des partenaires, des instituts de beauté, des coiffeurs… Mais tant que tu ne leur envoies pas de clients, ils ne sont pas du tout engagés, donc c'est très dur de les mobiliser. Et tant que ces instituts ne sont pas engagés, c'est très dur de faire venir du consommateur. Donc, t'es constamment en train de jongler avec ces deux enjeux. On était obligés d'avancer en escaliers. On avançait très fort d'un coup sur le référencement des instituts, et puis, il nous fallait vite augmenter le nombre de réservations parce que sinon, les instituts ne sont pas engagés. Mais dès qu'on augmente le nombre de réservations, il faut vite rajouter des instituts parce que sinon, on transforme mal. Et c'est un équilibre qui est assez difficile à tenir et qui demande une énergie folle. »

Ce défi, les deux co-fondatrices l'ont relevé avec brio. Mais lorsqu'on accomplit autant, si jeune, il est facile de penser que l'individu derrière le projet a toujours été une personne confiante et assurée. Pourtant, sur le plan personnel, l'entrepreneuse a eu besoin de temps pour se construire : 

« Je n'ai pas grandi avec beaucoup de confiance en moi, je me disais plutôt “Suis-je vraiment capable ?.” Quand j'ai eu HEC, mon entourage me disait “C'est bon, ce n'est pas l'X non plus.”. Quand j'ai créé ma boîte, ils m'ont dit “T'es folle.”

Je me suis forcée à construire ma confiance en moi petit à petit. Je me bats perpétuellement, pour arrêter de me mettre des barrières. 

C'est 15 ans de petites victoires accumulées qui font que j'ai gagné en confiance. Il y a toujours des moments de doute, c'est un cheminement qui se fait chaque jour, pas du jour au lendemain. »

Et justement, après une telle aventure entrepreneuriale, qui se solde par une superbe offre de rachat pour les deux co-fondatrices, il faut du courage pour recommencer et continuer sa carrière. C'est un défi :

« Après un tel parcours, il y a plusieurs raisons qui font qu'on a peur de se relancer. Il y a le “Est-ce que je peux réussir aussi bien ?”, mais au-delà de ça, on a la sensation d'avoir plus à perdre. 

Quand j'ai créé Treatwell, j'avais 22 ans, je n’avais rien à perdre. Après avoir réussi une première fois, l’enjeu n’est plus le même.

Mais le problème majeur, c'est que je n'avais pas l'idée pour me relancer, j'avais pas le truc qui me motivait. Trois ans d'entrepreneuriat, suivi de trois ans de scale, c'est éreintant. 

Jusqu'à ce qu'une rencontre fasse tout bouger. »

Le parcours d'entrepreneure de Marie Sermadiras l'éloigne, sur le papier, de la philosophie des grands groupes. Et pourtant… 

« Évidemment que L'Oréal, ce n'est pas ce que j'imaginais comme job rêvé. Ça ne me correspondait pas au départ. Moi, j'étais entrepreneure start upper, L'Oréal, c’était tout le contraire dans mon imaginaire. Mais j'ai fait la rencontre d'une personne qui m'a convaincue que c'était possible.

Puis j'ai eu envie de découvrir autre chose, d'apprendre. Au pire, je me plantais, et il sera toujours temps de revenir à l'entrepreneuriat… »

Pour Marie Sermadiras, c'est le grand écart, tant au niveau philosophique, que géographique, puisque pour son champ d'action, elle est passée de l'Europe à un périmètre international, principalement centré sur la Chine et les USA. 

« C'est une sortie de zone de confort totale. Évidemment douloureuse, mais à ce moment-là j'ai pensé que c'était maintenant ou jamais. Donc, finalement, l'entrepreneuriat, c'est aussi savoir se jeter à l'eau. Pour moi, il y avait le même sentiment que lorsque je lançais Treatwell, une forme de vraie prise de risque. »

Cette expérience, malgré sa distance avec l'environnement de base de l'entrepreneuse, a complété son apprentissage : 

« Aller chez L'Oréal m'a aidé à comprendre les grands groupes. Je ne comprenais rien aux grands groupes avant et je n'avais donc jamais réussi à créer un pont entre Treatwell et L'Oréal. Pourtant, je m'étais acharnée. Et en fait, au bout de quelques semaines chez L'Oréal, j'ai compris mon erreur.

Pour approcher une grande entreprise en tant que start-up, il faut comprendre que la priorité c’est d'assimiler l’enjeu clé pour ton interlocuteur dans ce grand groupe, celui-ci pouvant parfois être différent de l’objectif principal du groupe. L’objectif de mon interlocuteur peut être de veiller à surveiller les dépenses alors que celui de son voisin de bureau est au contraire de créer de la disruption, sans regarder les coûts. 

On ne parle pas au groupe, on parle à une personne qui a sa propre priorité. Il faut comprendre comment tu peux t'intégrer toi-même dans sa stratégie à lui. »

Même si l'expérience a été enrichissante, Marie Sermadiras a dû faire preuve de courage pour défendre son parcours : 

« Partir d'une start up pour aller dans un grand groupe, tout le monde me disait “Mais t'es folle. D'où un entrepreneur va bosser chez L'Oréal ? “. Puis quand je suis partie de chez L'Oréal pour aller faire du packaging dans une PME, pareil, les gens me disaient : “ Mais t'es folle, t'as fait un burn out pour abandonner le digital au profit de l’industrie ? “. »

En effet, à l'issue de son expérience chez L'Oréal, Marie Sermadiras a rejoint Cosfibel, en tant que CEO. Pourquoi ? Encore à cause d’une rencontre ! Cette continuité lui permet d'encore apprendre de nouveaux métiers : 

« Nous, notre métier, c'est d'aider nos clients à construire de belles expériences pour les consommateurs. Et ce, avec trois métiers : le packaging, l'art of gifting et le merchandising. 

On est une PME 100% française de 20 ans, qui a grandi progressivement de manière indépendante, jusqu'à l'année dernière, lorsqu'on a eu une belle opportunité de rapprochement avec le groupe GPA Global, un groupe sino-américain, qui a racheté 100 % du capital. »

Aujourd'hui accomplie dans ses missions, Marie Sermadiras raconte : 

« Mes journées, c'est un joyeux bordel. Je dois à la fois réussir à prendre du recul sur les sujets stratégiques et en même temps réussir à être dans l'opérationnel. L'équilibre est parfois dur à trouver. C'est le cas, je pense, pour la plupart des chefs d'entreprises de PMEs. J'aurais tendance à dire qu'une semaine normale, c'est lorsque le temps est réparti comme suit : un tiers équipe, un tiers client et un tiers stratégie et actionnaires. »

Rétrospectivement, pour sa carrière, Marie Sermadiras a décidé de faire confiance aux évènements et au destin : 

« Je laisse les choses se faire, j'attends la rencontre. J'ai eu de la chance, quand je suis allée chez L'Oréal, d'avoir eu une belle rencontre avec leur DRH. Pour Cosfibel, j'ai fait la rencontre du patron idéal dans un avion. Ce que je chercherai toujours dans ma vie professionnelle, c'est ce pouvoir de la rencontre, trouver la personne qui va t'emmener et avec qui tu vas créer une chose incroyable. »

Au regard de son parcours atypique, nous avons demandé à Marie Sermadiras ce qu'elle dirait à la jeune Marie, tout juste sortie d'école :

« Je me suis beaucoup posée de questions quand j'étais sortie d'études. Je me disais qu'en étant une généraliste je n'avais pas de valeur puisque je n'étais experte de rien. Mais au fond, je pense qu'il y a énormément de possibilités pour les généralistes. 

Au lieu de toujours penser à l'aboutissement, il faut identifier où l'on prend du plaisir dans notre travail. Une fois qu'on prend du plaisir, on ne peut qu'exceller. On doit accepter de commencer petit pour grandir. Que ça soit dans l'entrepreneuriat ou le salariat.

Évidemment qu'il y a des moments compliqués dans le travail. Mais il faut trouver un équilibre. Ça demande beaucoup d'engagement. »

Pour clore notre entretien, nous avons demandé à Marie Sermadiras, au travers de ses diverses expériences, ce qu'elle retient de son parcours, et les conseils qu'elle donnerait à la prochaine génération : 

« Quelque chose que j'ai découvert au long de mon parcours, c'est la force du travail. Je pense que quand tu travailles, que tu es persévérant, le tout en ayant une certaine opiniâtreté, c'est la clef. Si tu as les deux, les barrières sont minimes. Je ne dis pas que tu réussis à tous les coups, mais en tout cas, le duo travail + opiniâtreté, fait déjà énormément. 

Je pense que le deuxième facteur de réussite est la chance. La chance, ça se provoque, mais sans, c'est très difficile. On a tous besoin de ce petit coup de pouce du destin, quel qu'il soit, pour réussir. 

Troisièmement, le fait d'être plusieurs, c'est un facteur de réussite. Le collectif est clef. Je n'aurais jamais réussi à faire tout ça toute seule et je pense que Treatwell a réussi parce qu'on était à deux, et aussi parce qu'on a su s'entourer. 

Je dirais donc qu'il faut être persévérant, dédié, et apprendre à s'entourer, toujours. »

Portrait réalisé par Dare Society

Crédit Photo du portrait :

©Christophe Daguet