« Aujourd’hui, les étudiants de Sciences Po ne se voient plus faire toute leur vie dans une seule entreprise ni même dans un seul secteur d’activité. C’est pour cela que je souhaite faire deSciences Po l’université de référence en matière de combinaison de savoirs interdisciplinaires fondamentaux et d’expertise professionnelle ».
Dans cet échange, Mathias VICHERAT, Directeur de l'Institut d’Etudes Politiques de Paris et administrateur de la Fondation Nationale des Sciences politiques est revenu sur son ambition d’atteindre un niveau d’employabilité maximal pour ses étudiants, en développant l’alternance notamment.
Ancien étudiant de Sciences Po et de la promotion « Senghor » de l’ENA au sein de laquelle il a fréquenté des personnalités marquantes telles que Sibyle Veil ou Emmanuel Macron, Mathias VICHERAT a entamé sa carrière professionnelle dans le monde de la haute fonction publique, puis politique et privé.
Il a successivement occupé les postes de Directeur de cabinet du préfet de la région Picardie sous Michel Sapin, puis de sous-préfet de Bobigny, de Chef du pôle territorial Direction Générale de la Police Nationale, de Directeur de cabinet du maire de Paris sous Bertrand Delanoë puis sous Anne Hidalgo, pour ensuite bifurquer vers l’entreprise en tant que Directeur général adjoint du groupe SCNF puis Secrétaire général du groupe DANONE, avant d’entrer en fonction fin 2021 à Sciences Po.
« Je viens d’un milieu avec un grand capital culturel mais avec un capital économique plus modeste. Petit je voulais devenir paléontologue puis journaliste. C’est à Sciences Po que je me suis détourné de cette voie pour finalement embrasser une carrière dans la fonction publique. Je pense que pour la paléontologie c’est trop tard ! ».
Au début de l'entretien, Mathias VICHERAT est revenu sur la rencontre fortuite qui l’a amené à intégrer Sciences Po ainsi que sur son premier regard vis-à -vis de cette école.
« Encore au lycée, je n’avais pas entendu parler de Sciences Po. Un jour, à un mariage, je rencontre un professeur d’hypokhâgne, Claude Briman, qui faisait partie de la prépa sciences po de Victor Duruy et qui me pousse à y candidater pour me préparer à Sciences Po. En 1997, j’y suis entré. Ça a été un “choc thermique”. À l’époque, il n'y avait que 6% de boursiers et 10% d’internationaux alors qu’aujourd’hui il y en a respectivement 30% et 50%. Je n’avais jamais connu cet univers, c’était très formateur. Il y avait une sur représentation des élèves issus des grands lycées parisiens ».
Militer dès son plus jeune âge, être utile à plus grand que soi – au collectif – se battre pour que les choses aillent mieux, s’engager… Voilà ce qu’affectionnait Mathias VICHERAT et c’est ce qui l’a attiré dans la fonction publique puis en politique à sa sortie de l’ENA :
« L'antiracisme a été le premier sujet de mes mobilisations lycéennes et plus tard de ma mobilisation politique.Je ne pouvais pas rester les bras croisés. À Sciences Po, j’ai monté ATTAC, je ne servais pas à grand-chose à l’époque mais même si c’était un caillou à l’édifice j’avais envie de le poser. C’est aussi l’aspiration intellectuelle des combats qui m’a emmené vers la politique. À ma sortie de l’ENA, j’étais dans la fonction publique, je devais être neutre alors mon côté militant je l’ai mis de côté. Puis, quand je suis devenu directeur de cabinet du Maire deParis, j’avais le sentiment d’être utile et de contribuer en fonction de mes valeurs à faire avancer les choses.
Je pense que l’engagement c’est la recherche d’un alignement entre nos valeurs et les actions que l’on porte. Je ne sais pas si c’est la clé d’une vie réussie mais l’alignement c’est quelque chose de fondamental ».
Sa rencontre avec Emmanuel FABER –Directeur Général de DANONE – a été déterminante dans son début de carrière dans le secteur privé :
« On s’est vus un samedi matin à 7 heures parce qu’il est très matinal, pendant 3 heures. Il m’a donné envie de travailler dans cette entreprise à la fois parce qu’on y trouvait cette ambition économique, sociale et environnementale et parce qu’il y avait cette rencontre avec lui ».
Ce passage dans la fonction publique puis dans le secteur privé a permis à Mathias VICHERAT de proposer des évolutions dans le management du secteur public.
« On peut avoir des modes de gouvernance proches de ceux d’une entreprise. Ces dernières fonctionnent de plus en plus autour de cette ambition de leadership, qui implique de convaincre, d’embarquer ses collaborateurs ».
Désormais directeur de Sciences Po, Mathias VICHERAT estime que Sciences Po s’appuie sur quatre grandes forces : l’ouverture d’esprit, l’interdisciplinarité, l’expertise professionnelle et l’engagement.
« On est à la fois une école de savoirs fondamentaux et d’application. Sciences Po, ce n’est pas que des études, c’est une expérience. Les étudiants sont obligés pendant 2 ans d’intégrer une structure associative ou de l’économie sociale et solidaire à travers un parcours civique. Aujourd’hui 36% d’entre eux font partie d’une association humanitaire ou caritative. C’est énorme ».
Il souhaite renforcer la combinaison de l'interdisciplinarité et la professionnalisation de ses étudiants :
« Avant dans la sphère professionnelle, il fallait obligatoirement se spécialiser pour être crédible. Aujourd'hui, au contraire, il est important d’avoir un bagage interdisciplinaire parce que le monde est beaucoup plus complexe tout en ayant une vraie expertise professionnelle.
À titre personnel, je ne suis pas un « spécialiste » et j’ai justement été dans des postes qui requerraient une forme de palette assez large de compétences. En tant que directeur de Sciences Po, je m’occupe de ressources humaines, de levées de fonds, de l’ambition stratégique ou encore de la communication. Avec des équipes formidables ».
« Pour l’expérience professionnelle, j’ai souhaité que toutes nos écoles au niveau master proposent l’alternance et je veux maintenant pouvoir proposer un stage en entreprise dès la première ou la deuxième année. Ma volonté est de permettre aux étudiants d’avoir une connaissance de l’entreprise pour battre en brèche quelques fausses idées reçues : on peut poursuivre le bien commun en entreprise. »
Pour conclure notre échange, Mathias VICHERAT souhaite adresser deux derniers conseils à la nouvelle génération :
« Un échec, il faut d’abord le laisser décanter, parce que parfois il s’avère être une prise de conscience ou encore un renforcement. Il ne faut pas s’arrêter à l’instant T.
Et il faut prendre des risques parce que sans risque on fait beaucoup moins de choses. À la fin, on sera plus heureux car on aura moins de regrets. Puis, je veux dire que le sentiment d’utilité prime sur tout. Evidemment, il faut avoir un salaire décent pour mener sa vie mais se sentir utile, pour moi, c’est un ressort essentiel d’une vie accomplie sur le plan humain et professionnel. C’est en sortant des sentiers battus qu’on s’accomplit.
Les chemins de traverse, c’est aussi un accomplissement de soi, avec la recherche d’un alignement entre ce que l’on est et ce que l’on fait.
Je crois que si chacun poursuivait ça, le monde serait sans doute moins cabossé ».
Portrait réalisé par Julien LATOUCHE
Mathias Vicherat (crédits : Martin Argyroglo)