Nicolas Glady (Telecom Paris) : son combat pour l’éducation supérieure de demain. 

« Je me dis souvent en tant que dirigeant d'établissement, “qu'est ce que tu ferais si ton fils était élève chez toi ?”. Ça, c'est le combat moral que j’essaye d’avoir. » 

Aujourd’hui doyen et directeur de l’école Télécom Paris, la carrière de Nicolas Glady a commencé très tôt : «Ma carrière a commencé à ma naissance. Mon père, la première fois qu'il m'a pris dans ses bras, m'a dit “Je t'apprendrai l'informatique, mon fils.” ≫ 

Né d’un père professeur d’électronique et de robotique, et d’une mère professeur de maths, Nicolas avait toutes les chances de devenir ce qu’il appelle un “Geek”. Il grandit en Belgique, où il fera d’ailleurs partie des premières familles Belge à avoir eu un ordinateur. 

Je voulais être inventeur, travailler dans l’informatique.≫ 

Nicolas GLADY se forme à L’École polytechnique de Bruxelles, où il se spécialise en informatique. Il complète son parcours d’un master en gestion à la Solvay Business School, puis d’un doctorat en économie. Il choisit comme sujet de thèse les datas inexploitées et stockées par les banques dans des datawarehouse. ≪À l'époque, on ne parlait pas d'intelligence artificielle, on parlait de data mining. ≫ 

Après un début de carrière dans le conseil, il met ses connaissances au profit de l’éducation : en 2009 il devient professeur à l’ESSEC. 

“Je suis vraiment tombé amoureux du système des grandes écoles françaises parce qu'en Belgique, les universités sont très académiques, assez peu branchées sur le business. À l'époque, je voyais le système des grandes écoles qui était très tourné vers les entreprises, avec de la recherche qui était très appliquée. Je trouvais ça super intéressant” 

Il s'investit dans cette nouvelle voie, commence en tant que professeur assistant, devient ensuite professeur associé, puis professeur titulaire. Il sera d’ailleurs élu professeur favori par les élèves de l’ESSEC.

“J'essayais d'être le prof que j'aurais aimé avoir” 

À ses yeux, la qualité d’un enseignant se bâtit notamment à travers le travail de recherche. 

“Typiquement, le mec qui vient du business et qui devient enseignant à plein temps, il s’avère vite obsolète. Au bout de cinq ans, il raconte des faits qui étaient vrais il y a dix ans, mais qui sont lointains aujourd'hui. Alors que lorsqu’on fait de la recherche, on est obligé de tout le temps se confronter à l’actualité de notre domaine. C'est la seule manière d'être sûr que la personne est effectivement au top de la discipline et connaît tout ce qui est nouveau. Les organismes de classement tiennent compte de la recherche pour faire des rankings, c'est parce qu'ils savent que la recherche est une mesure de la pertinence des enseignants.” 

Au fil de sa carrière au sein de l’ESSEC, Nicolas GLADY co-crée plusieurs Chairs sur différentes thématiques : les modèles économiques de plateforme, digital business… Puisque le digital est omniprésent et que le professeur maîtrise ces questions, il prend en 2015 le poste de directeur général adjoint de l’école. 

En 2019, un autre challenge l’attend lorsqu’il prend la direction de l’école Télécom Paris. 

Afin d’assumer de telles responsabilités dans ces deux établissements, il a dû assumer et mettre en avant ce qui le différencie de ses collègues. 

« Aujourd'hui, je suis un ovni au sein des écoles d'ingénieurs. Dans les écoles du top 20, je suis le seul qui n’était pas français au début. J’ai 20 ans de moins que tout le monde. Je fais partie des rares qui n'ont pas fait l’X dans les écoles du Top 5. » 

Grâce à sa position, il observe une prévalence marquée à l'autocensure en France quant à ce qui est réalisable ou non en fonction de son parcours académique et professionnel. 

« Les gens qui ont fait des écoles inférieurespensent qu’il y a un plafond de verre, ce qui peut être vrai parfois, mais moi je ne le vois pas du tout. Je regarde plutôt les compétences qu’il faut, si j’ai l’impression de les avoir, j’y vais. »

Afin de réussir son défi qui est d’emmener Télécom Paris aux championnats mondiaux d’écoles d’ingénieurs, Nicolas GLADY identifie quelques leviers importants. 

Déjà, il tient un emploi du temps précis : «Je prévois de répartir mon temps de la manière suivante : 30% pour les réunions en interne, 30% pour les réunions avec des partenaires externes, et 40% pour entretenir mon réseau en travaillant avec les médias, en participant à des conférences et en faisant la promotion de notre école. Quand les gens me demandent ce que je fais, je leur dis souvent que je suis comme Jean-Pierre Bacri dans le film Le sens de la fête. Je gère les clients pas contents, les clients super exigeants, mais finalement, ils seront contents quand ils verront la fête.» 

Un autre défi majeur dans la mission de Nicolas GLADY est le challenge de la gestion managériale d'une école, qui implique de concilier les diverses disciplines et préoccupations. 

« Je crois que beaucoup de gens qui viennent de l'extérieur et qui veulent prendre des responsabilités dans l'académique, ne se rendent pas du tout compte du choc de culture auquel ils vont être confrontés. » 

« Pour être un bon manager, il faut être à l'écoute, avoir une intelligence émotionnelle. Là où, pour être un bon chercheur, il faut être obsédé par son sujet, vraiment être capable de défendre son idée, coûte que coûte. C’est complètement orthogonal, pour ne pas dire que c’est opposé. 

C’est la raison pour laquelle il est rare de trouver la bonne personne pour un poste aux missions de management sur le secteur de l’académie.» 

Dans le contexte complexe de la triple tutelle de l'Institut Polytechnique de Paris, étant donné que l'école relève du ministère de l'économie et des finances, du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que du ministère des armées, Nicolas GLADY met en avant un modèle de gouvernance spécifique comme levier de réussite, qui lui permettrait de jongler habilement entre les différentes prérogatives et défis associés à ces multiples tutelles. 

« Selon moi, il faut absolument que certains chercheurs comprennent qu'on est au service de la société et de l'économie, qu'on n'est pas au service de la recherche pour la recherche.»

« La tutelle du ministère est très intéressante parce qu'aujourd'hui, sur les sujets importants de souveraineté numérique, il faut faire des investissements à long terme. Quand tu regardes les grandes évolutions technologiques, la bombe atomique, l'ordinateur, toutes ces inventions sont très souvent le résultat de l'interaction entre le complexe militaire industriel et la recherche de pointe. » 

La gouvernance de l’école est donc structurée de la façon suivante : un tiers représente l’Etat, un tiers les personnes qualifiées, du business, et un tiers des usagers, enseignants-chercheurs et élèves. “on cherche l’équilibre par l’intérêt général, qui est rarement la somme des intérêts particuliers.”. 

Sur le futur de l’enseignement secondaire, Nicolas GLADY s’ouvre à plusieurs réflexions : 

« J'ai fait une petite note pour l'Élysée sur l'approche par bloc de compétences. Aujourd'hui, tu vois certains employés de chez Renault, qui ont 50 ans, qui sont ingénieurs chimistes, ils ont 60 % des compétences pour être ingénieurs à Télécom Paris, mais ne vont pas refaire un diplôme de Télécom Paris. On pourrait simplement leur proposer les blocs dont ils ont besoin. Ça peut faire effet de levier. On leur donnerait un diplôme de télécom Paris en faisant 30 % du coût de la formation. On arriverait à 100 % de la valeur ! » 

En guise de conclusion à notre échange, Nicolas GLADY partage ses observations sur la perception de l'échec en France et son impact sur l'encouragement à entreprendre : 

« Si on veut changer les choses, il y un ratio d'erreurs / succès qui est normal. 

Il faut faire comprendre aux ingénieurs français que faire des erreurs c’est tolérable et que c’est même la clé de l’évolution. Ce problème me semble propre à la France. Au MIT, Stanford ou dans la Silicon Valley on survalorise l’échec. 

Alors qu'en France, il y a ce côté bon élève qui a toujours tout réussi. Quelque part, si on échoue, c'est suspect. »

La clé, selon lui, c’est la bienveillance. Nicolas l’a constaté lors d’une expérience : « J'ai invité deux professeures, une américaine et une française, pour observer mon cours et me donner des conseils. 

La professeure américaine m'a fait des compliments en listant le positif. Puis a bien amené des critiques constructives , qui m'ont aidé à améliorer mon cours. 

En revanche, la professeure française a dressé une liste de tout ce qui n'allait pas, même des éléments qui étaient délibérément choisis. 

Et cet esprit, je pense, est vraiment très destructeur pour une culture de l'entrepreneuriat et de l'expérimentation. » 

La peur de l’échec entraîne l’inaction. Nicolas GLADY cherche donc à créer au sein de son équipe un climat de tolérance : 

« Dans mes équipes, quand quelqu'un a foiré un truc, mais qu'on avait pensé que c'était une bonne idée, on lui dit, “écoute, très bien, voyons voir comment on peut faire pour améliorer ça”. On essaie de tous s'entraider pour rattraper le coup quand c'est nécessaire. 

Je trouve que quand tu mets en place une telle dynamique, les gens ont beaucoup moins d'appréhension à tester. Au début, ils n'y croient pas trop, puis au fur et à mesure, ils constatent que non, l’échec n’est pas sanctionné, et que c’est presque mis en valeur. Ils se disent alors “On a le droit de tenter” et deviennent moteurs. » 

Portrait réalisé par Dare Society