Quentin Adam, la technologie comme terrain de jeu.

Quentin Adam, la technologie comme terrain de jeu.

Quentin Adam est un serial entrepreneur, touche à tout, de la tech à la santé, en passant par l'hospitalité. Cette énergie, il la tient de l'enfance : 

«J'étais un gamin hyper actif et assez brillant par ailleurs. Je lis vite et je n'ai jamais beaucoup dormi. Une semaine sans nuit blanche chez moi n'existe pas. »

En plus de cette hyperactivité, Quentin développe très jeune une certaine sensibilité : 

« J'ai toujours beaucoup aimé la musique, donc je suis entré au conservatoire très jeune. J'étais violoniste. J'aimais chanter aussi, je voulais être chanteur lyrique. Pour l'anecdote, quand j'étais au collège, avec des amis, on a réalisé une comédie musicale qui est encore vendue à la FNAC aujourd'hui. »

À l''école, Quentin Adam n'était pas à l'aise : 

« Au collège, j'avais aménagé mon quotidien autour de la musique. Au lycée, ça a été difficile. Je séchais beaucoup, et quand j'étais présent, j'étais dans le fond de la salle à lire. En première, j'étais tellement absent que le logiciel du lycée m'avait supprimé automatiquement.

Après ça, j'ai proposé un arrangement à mes parents : passer mon bac en candidat libre, via le CNED. »

Progressivement, une nouvelle passion de Quentin Adam se réveille : l'informatique :

« Mon père étant ingénieur en informatique, il y a toujours eu des ordinateurs pertinents chez moi, dont le mythique Macintosh quand j'étais tout petit. A cette époque là, c'était très rare d'avoir un ordinateur pour soi, j'étais le seul de mes camarades à en avoir un. 

Parmi les amis de mes parents, il y avait un ingénieur en informatique, qui m'a fait découvrir la discipline, et j'ai adoré. »

Le jeune homme s'y familiarise, jusqu'à maîtriser la matière : 

« Vers 14 ans, je me suis retrouvé à vendre mes prestations de services en créant des sites web. Le premier que j'ai vendu, c'était le site web du Syndicat des sages-femmes, auquel ma mère était adhérente. 

Puis mes parents me poussaient à prendre des emplois stimulants, donc à 16 ans j'ai géré une équipe d'ingénieurs qui travaillait avec mon père sur de la formation à distance. Ça a été une première expérience de management, car j'ai dit à tous qu'ils étaient nuls et que j'allais faire à leur place. J'ai mis tout le monde à ne rien faire et moi, j'ai tout codé jour et nuit. Ce qui n'est pas une bonne méthode de management. »

En 2006, Quentin Adam rejoint une école d'ingénieurs. Il y co-créera sa première entreprise : Kan OP : 

« On voulait faire des œuvres d'art. Nous avons créé un jeu où le concept était l'élevage de monstres, un peu comme Pokémon, avec un système de compétences, de combats, dont on était très fiers. À côté, pour faire vivre l'entreprise, on faisait des prestations de service. On s'était par exemple retrouvé à déployer tout l'e-commerce de Carrefour en 3G depuis une station de ski. Ce qui m'a plongé directement dans le bain international et m'a permis d'apprendre l'anglais sur le tard, notamment sur la documentation technique d'Apple et dans les salons de jeux vidéo. » 

Dans cette entreprise, les étudiants développent des technologies aujourd'hui reconnues. Mais à l'époque, l'équipe peinait à recevoir le soutien nécessaire pour mener à bien ses projets. Ils ont notamment travaillé sur le JavaScript server side et aucun acteur ne les a suivis. Ensuite, Nod.js l'a développé, et la technologie s'est largement démocratisée : 

« Plus tard, j'ai lancé un autre projet, et ça a été pareil, j'ai eu zéro soutien parce que le cloud computing, ce n'était pas un vrai marché aux yeux des investisseurs. J'étais issu de la tech, et je leur affirmais que ça serait la prochaine trend. Mais personne n'écoutait. »

Cet autre projet, c'est Clever Cloud, une plateforme d'hébergement qui infogère et sécurise les environnements, lancée en 2010. Quentin Adam l'a co-fondé après avoir affiné sa compréhension du marché de la tech. À travers cette entreprise, il propose l'industrialisation des processus technologiques : 

« Au XIXᵉ siècle,on a remplacé les muscles humains par des moteurs. 

L'ordinateur, c'est une façon de remplacer des cerveaux humains. Nous sommes dans l'industrialisation de la prestation intellectuelle et le software, ce afin de développer nos capacités à correspondre au marché. 

Les développeurs ont besoin de stabilité, donc on a informatisé le processus d'analyse statistique pour l'améliorer et faciliter le travail et la coopération sur toute la chaîne. Donc nous gérions les serveurs, en fournissant une plateforme avec un niveau de service global, sur laquelle les utilisateurs déploient. Les fournisseurs et développeurs n'avaient donc plus besoin d'échanger. 

Ça permettait de contourner les réunions et problèmes de communications entre les partis de la chaîne, et de contourner l'imperfection humaine. » 

« C'était mythique parce qu'on a créé l'entreprise alors qu'on était dans une colocation de 7 personnes, dont cinq geeks. Le bureau était notre garage, dont on a refait les murs à la chaux, et où on avait mis au sol un faux parquet à 2,40 € en promo. On était jamais 7 à table, plutôt 15, c'était apocalyptique. »

Le projet porte, et intéresse les acteurs du secteur : 

« Un jour, j'ai reçu un mail d'un certain Xavier Niel, qui me dit qu'il apprécie notre travail et aimerait investir. Kima Ventures a alors investi. »

« On codait tous, tout le temps. En plus de développer Clever Cloud, nous devions mener des projets de service pour assurer notre survie financière. Nous travaillions sur des projets improbables : On a recodé des cartes, les bornes de mise à jour de cartes SESAM VITAL, un programme de dématérialisation des feuilles de soins pour l'assurance maladie en France. Nous développions pour Roland Garros... L'ambiance était électrique : nous avions une énorme sono qui diffusait de la trance en permanence et nous étions sponsorisés par Red Bull. Il n'était pas rare que nous travaillions le week-end. C'était une ambiance de créativité et de folie. Aujourd'hui, Clever Cloud est mon porte-avions. À partir de cette entreprise, nous avons créé tous les autres services. À mes yeux, le cloud computing est le passage obligé de tout business à venir. »

Son expérience sur la tech donne foi à Quentin Adam en la capacité de la France à s'imposer en tant qu'acteur : 

« Notre force en tant qu'acteur français c'est que nous sommes soumis aux normes RGPD, donc quand Clever Cloud discute avec des acteurs mondiaux, ils ont une garantie. Nous respectons automatiquement les données privées des citoyens. Notre défaut est que nous avons des acteurs qui ont tenté de singer les américains. Donc oui, nous faisons moins bien qu'eux. Alors que nous avons nos forces, nos capacités, sur lesquelles capitaliser. Premièrement, notre élégance. »

En parallèle, Quentin Adam développe de nombreux projets. Dont l'hospitalité : 

« En 2019, avec 4 associés, nous avons créé _icilundi, un espace de co-working et de restauration. 

_icilundi, c'est le meilleur coworking à Nantes. En 1 an, nous sommes devenus premiers sur TripAdvisor, et nous sommes rentrés dans le guide Michelin. L'idée est de créer un lieu de pouvoir à Nantes, car ensuite, ça permet de nourrir pleins d'autres projets. »

Puis en 2020, la grand Histoire rencontre la petite : 

« En 2020, je revenais des Etats-Unis. Lorsque le Président annonce le confinement, la personne avec qui je vivais était en médecine, et m'explique tout l'enjeu autour des capacités des hôpitaux qui sont dépassés, et le besoin en respirateurs. À ce moment-là, il n'y avait qu'Air Liquid qui produisait des respirateurs en France, 200 par an. Donc je décide de lancer une production de respirateurs en open source. 

Je ne connaissais rien au secteur. J'ai passé mes nuits à lire des articles, à regarder des conférences pour comprendre. À la fin, j'arrive à la conclusion que comme d'habitude, c'est plus subtil que lorsque j'imaginais le secteur de loin. 

En quelques heures, j'avais au téléphone le directeur de la réanimation de la Pitié Salpêtrière qui m'expliquait son cahier des charges pour un respirateur. Du coup, j'ai commencé à bricoler, j'ai contacté plusieurs personnes et on s'est auto-confinés dans un endroit pour commencer à travailler. Le challenge était de faire un respirateur industrialisable et produisible en très grande quantité en peu de temps, et surtout qui soit certifiable.

Finalement, nous avons été financés par l'armée, tandis que lorsque nous leur présentions le projet, nous testions nos respirateurs avec des capotes, car il fallait improviser en situation de covid… 

Cette expérience montre qu'être ingénieur, c'est savoir découper un problème. J'avais découvert le problème, nous avions un délai court, de 3 ou 4 semaines. Nous avons réussi à délivrer dans les délais. Le 17 mars Emmanuel Macron faisait son discours, le 2 avril nous branchions un cochon sur le respirateur. Le 9, nous avons livré le dossier réglementaire à l'ANSM. Le 12, nous avions une chaîne industrielle. On en produisait 50 par jour. 

Entre-temps, je n'avais pas dormi, toute l'équipe était épuisée. Mais on était contents, nous avions fait notre boulot. »

Malgré la distance apparente entre le monde de la santé et celui de la tech, en tant qu'entrepreneur de la tech, l'expérience de MakAir a nourri Quentin Adam : 

« Après avoir travaillé sur MakAir, j'ai compris l'importance de la politique dans notre travail. C'est pourquoi j'ai recruté un directeur de la communication brillant, Guillaume Champot, pour Clever Cloud. Six mois plus tard, j'ai repris la présidence de l'Open Internet Project, une association qui a vocation à agir en groupe d'influence auprès des instances de l'Union européenne et de ses gouvernements nationaux afin de défendre le secteur digital européen. J'y ai poursuivi les combats de mon ami, Eric Léandri. Nous nous battons pour préserver la concurrence et la liberté sur Internet, et pour favoriser l'innovation en Europe. 

Je crois fermement que le logiciel a un impact culturel, et j'ai fait de Clever Cloud un outil au service de la France et de l'Europe. »

Malgré la pluralité de ses expériences, l'entrepreneuriat n'a pas toujours été simple pour Quentin Adam : 

« Il y a eu une période où on avait des difficultés sur tous les projets. On s'accrochait à un contrat pour améliorer la situation, mais il ne s'est finalement pas fait. Mon partenaire potentiel m'avait appelé me disant " Je pense que j'ai coulé ta boîte, je suis désolé." . Mais nous avons décidé de nous battre. Tous les collaborateurs savaient que nos services en valaient la peine, ils étaient mobilisés. 

Lorsque l’on rentre en redressement judiciaire, il y a une forme d'harcèlement moral de la part de tout le monde. C'était terrifiant. 

Avec mon directeur financier, nous avons trouvé des solutions, en procédure collective, nous avons été bien accompagnés et petit à petit, nous avons remonté la pente. 

Nous avons évolué et laissé tomber les ventes pour passer à un modèle de developer evangelism. Et là, les fonds ne nous suivaient plus, mais on s'est accrochés. Nous avons mis l'entreprise sur une tendance de 10 % de croissance mensuelle. Tel était l'objectif pendant deux ans et demi. Tous les six mois, nous doublions l'entreprise. »

Finalement, le parcours de Quentin Adam inspire la persévérance et le courage : 

« Malgré mes réussites, mon parcours n'a pas été sans échecs. Il se peut que mes succès donnent l'impression que j'ai réussi dès ma première tentative, mais ce n'est pas le cas. J'ai connu de nombreux échecs. Par exemple, il y a quelques années, avec l'un de mes associés d'_icilundi, nous avons lancé un service de livraison de tartiflettes. Je passais des soirées entières à préparer des tartiflettes dans l'espoir de les vendre. Le projet s'appelait "tire-fesses". Au final, nous n'avons réalisé qu'un bénéfice de 400 €. C'était un échec total. Mais chaque échec m'a appris quelque chose et m'a préparé pour les projets suivants.

Et pour chaque projet, il faut être prêt à affronter des défis. Un jour, nous avions acheté un beau restaurant. Tout était prêt, mais quand nous avons nettoyé la cuisine, nous avons mis de l'eau sur le sol et quinze jours plus tard, tout le carrelage était cassé. Nous avons découvert que le carrelage avait été posé sur un parquet qui avait gonflé et avait fini par tout casser. C'était un moment de panique.

En résumé, je suis quelqu'un qui embrasse l'improbable. J'aime vivre dans le chaos. Un jour, la personne avec qui je partageais ma vie m'a dit "Mais tu n'as pas de plan !". Et c'est vrai, je n'en ai pas. Je joue avec les cartes qui me sont données. Mes principes fondamentaux sont la liberté, la liberté d'innover et la liberté de créer de nouveaux produits. »

Portrait réalisé par Dare Society