Rachel-Flore Pardo, porter une voix féministe sur la justice.

Rachel-Flore Pardo, porter une voix féministe sur la justice.

Rachel-Flore Pardo a vécu une enfance parisienne, au sein d’une famille doublement marquée. Premièrement par l’Histoire avec un grand H, puis par le parcours personnel de chacun de ses aïeux : 

« J’ai une histoire familiale forte, avec d’une part la déportation de ma famille paternelle à Auschwitz et d'autre part l'immigration de mes grands-parents maternels de Tunisie. Ce sont deux histoires structurantes, qui ont marqué mon environnement. »

Aujourd’hui avocate engagée et influente, Rachel-Flore Pardo avait de quoi s’inspirer chez les siens : 

« J'ai  grandi dans une famille d'avocats, puisque mes deux parents le sont. C'était une famille où, à table, on demandait beaucoup l'avis des enfants, on parlait beaucoup des sujets d'actualité, de justice. Cette culture a été fondatrice pour moi. » 

Pourtant, initialement, elle souhaitait prendre le contre-pied : 

« Comme beaucoup d'enfants qui regardent la profession de leurs parents, j’ai d’abord dit : « Je ne veux surtout pas être avocate ! », pour ne pas faire comme eux. » 

Rachel-Flore Pardo part alors en 2011 étudier le commerce en Angleterre, à l’université de Warwick. Sur place, elle découvre le droit : 

« Là bas, j'ai pris les quelques cours de droit auxquels j'avais accès, et j'ai tout de suite adoré. Ensuite, j'ai suivi une licence de droit français par correspondance, et il s’est révélé être une évidence que j'embrasserai cette vocation. »

L’étudiante intègre plus tard un master à l’école de droit de Sciences Po, en partenariat avec l’université américaine Columbia : 

« J'ai adoré mon expérience aux États Unis. Les cours que j’y ai suivis font partie de ceux qui m'ont intellectuellement le plus appris et le plus passionnée. A Columbia, la technique d’enseignement avait quelque chose d’étonnant. Par exemple, pour un cours de droit antiterroriste américain, nous avions l’intervention en binôme de deux avocats qui avaient travaillé sur les mêmes dossiers, mais des deux côtés opposés. C'était passionnant. »

« Lors du cours de droit pénal, nos professeurs ont fait intervenir dans leur classe d’anciens étudiants de notre master à Columbia, qui avaient été condamnés pour des faits qui relevaient de la criminalité en col blanc. Ils sont venus témoigner de leurs condamnations, de leurs passages en prison, nous dire à quel point ils pensaient que cela ne leur arriverait jamais, combien ils se sentaient protégés. Émotionnellement, c'était des moments très forts. »

En 2017,  Rachel-Flore Pardo passe le barreau et intègre l’école des avocats : 

« J’ai passé le barreau au moment de #MeToo, un mouvement de société qui va marquer mon parcours d'avocate, car quand on passe l'examen d'avocat, on se projette dans cette profession, on est sensible à la façon dont l’actualité l’impacte. À ce moment-là, notre droit et notre justice étaient très questionnés sur leur capacité à prendre en charge les violences sexistes et sexuelles. »

« Lors de cette entrée à l'École des avocats, je fais un stage en juridiction. Puis j'entre au cabinet des ministres Jacques Mézard et Julien Denormandie, à la cohésion des territoires, où je vais rester un an. Je m’y occupais des sujets en lien avec les quartiers prioritaires de la politique de la ville, selon l'angle du lien avec les acteurs privés, notamment les associations. Cette expérience m’a permis de découvrir le fonctionnement de la vie associative et de nos institutions. »

En novembre 2019, Rachel-Flore prête serment pour devenir avocate et en 2020 elle co-fonde un collectif avec onze autres femmes qui deviendra ensuite l’association Stop Fisha, qui lutte contre le cybersexisme et les cyberviolences sexistes et sexuelles : 

« Notre engagement chez Stop Fisha se matérialise par un accompagnement moral et juridique des victimes, un signalement des contenus illicites, et la sensibilisation du plus grand nombre à ces sujets, notamment à travers la rédaction d’un livre que nous avons écrit et publié aux éditions Leduc qui se nomme : « Combattre le cybersexisme. » 

« En tant que citoyenne, je suis engagée pour la défense des droits des femmes. Et j’ai compris en tant qu'avocate que ce sont des sujets sur lesquels on a besoin de renforts. J’ai eu naturellement envie de prendre part à ce combat. » 

« Je suis convaincue que les avocats ont un véritable rôle à jouer dans tous les combats de société. Ça a été le cas historiquement et ça l'est encore aujourd'hui. Je veux jouer ce rôle pleinement. Le droit est un formidable outil pour faire changer les choses et faire évoluer la société. » 

Aujourd’hui, l’ambition principale de Rachel-Flore Pardo est de continuer à porter une voix féministe sur la justice : « Je souhaite aider la justice à mieux prendre en charge les victimes de violences sexistes et sexuelles. J’essaie modestement, à mon échelle, de contribuer à la démocratisation de cette institution qu’est la justice, qui est parfois trop éloignée des citoyens et justiciables. » 

Pour clore notre entretien, nous avons demandé à Rachel-Flore Pardo quel regard elle porte sur le traitement attribué aux questions de cybersexisme désormais : 

« Il y a une prise de conscience qui émerge sur ces sujets. Il y a trois ans, personne ne savait ce qu’étaient le cybersexisme, les cyberviolences sexistes et sexuelles. Maintenant, on voit que les médias commencent à en parler, certains décideurs commencent à s’y intéresser, c’est mieux.

Mais les résultats ne sont pas là car, en réalité, les changements concrets pour les victimes ne se ressentent pas encore. Les mesures prises sont des mesures à la marge, qui ne sont pas structurelles et qui n’apportent pas de véritable réponse aux victimes de cyberviolences sexistes et sexuelles. »  

« Il arrive que des plaintes aboutissent. Mais parfois, il n'y a même pas de dépôt de plainte, car il y a un problème culturel, une forme d’acceptation. De trop nombreuses personnes sont résolues à ce qu’il y ait des violences en ligne. D’autre part, lorsqu’il y a un dépôt de plaintes, parfois ça n'aboutit pas et d’autres fois, trop souvent, ça aboutit trop tard et ça concerne trop peu de personnes, ce qui contribue à nourrir un insupportable sentiment d'impunité sur Internet qui pousse les auteurs à continuer de commettre des infractions en ligne en pensant qu'il ne leur arrivera absolument rien. 

Beaucoup en payent le prix. Aujourd'hui, nous sommes encore dans l’incapacité de protéger réellement les victimes. Je pense notamment aux victimes de diffusion non consentie de contenus intimes, auxquelles on ne parvient pas à garantir que ces contenus ne seront pas diffusés à nouveau. 

On avance, mais concrètement, aujourd'hui, notre justice échoue encore trop souvent à prendre en charge les cyberviolences sexistes et sexuelles. » 

Portrait réalisé par Dare Society